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USA vs Kabuga
 
Les Etats-Unis ont lancé le 11 juin à Nairobi une campagne médiatique visant à la capture de l'homme d'affaires Félicien Kabuga. 

« Recherché pour génocide - Jusqu'à 5 millions de dollars de récompense. » Depuis le 11 juin, l'annonce apparaît sur un quart de page dans le quotidien kenyan  « The Nation ». La cible de cette forte prime offerte par les Etats-Unis : Félicien Kabuga. Proche de la famille du défunt président rwandais Juvénal Habyarimana, Félicien Kabuga est accusé depuis le 31 août 1998 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de génocide et de crimes contre l'humanité. Surnommé « le financier du génocide », ce richissime homme d'affaires sa fortune dépasserait les 20 millions de dollars - est avant tout connu pour avoir alimenté le « Fonds pour la défense nationale » mis en place par le gouvernement intérimaire pendant le génocide, mais aussi pour ses facultés à échapper aux enquêteurs du TPIR depuis cinq ans. 

« Campagne ciblée et agressive »
 
S'il a déjà été mis en place pour traquer des accusés du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), c'est la première fois que le programme fédéral américain « Rewards for Justice » est utilisé concrètement à l'encontre un accusé du TPIR. Les Etats-Unis tiennent ainsi à marquer leur détermination à « lancer une campagne ciblée et agressive », selon Pierre-Richard Prosper, l'ambassadeur américain pour les crimes de guerre, venu pour loccasion à Nairobi, le 12 juin. Officiellement, l'initiative a aussitôt été bien accueillie par Kigali. 
Reste quil aura fallu un an et demi, depuis l'adoption de la loi sur l'élargissement de ce programme fédéral en octobre 2000, pour que les Etats-Unis se décident à y recourir en Afrique. Certes, la campagne anti-Kabuga a été annoncée dès janvier 2001 sur le site internet du Département dEtat, en même temps que 12 autres accusés du TPIR. Mais les Américains ont apparemment donné la priorité aux recherches d'accusés du TPIY dans les Balkans, avant de se concentrer sur les enquêtes liées aux attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington. Pierre-Richard Prosper, attendu à Belgrade le 14 juin, a d'ailleurs annoncé qu'il espérait voir « bientôt » l'arrestation du général Ratko Mladic. « Le cas de Radovan Karadzic est différent. Il est protégé par son peuple, qui na pas lintention de le livrer », a-t-il précisé. 

Objectif Congo
 
Le début de la campagne contre Kabuga a été aussi l'occasion pour les Etats-Unis d'annoncer une opération de plus grande envergure contre huit autres accusés du TPIR actuellement en fuite : Augustin Bizimungu, Augustin  Bizimana, Jean-Baptiste Gatete, Ildephonse Hategekimana, Ildephonse Nizeyimana, Augustin Ngirabatware, Protais Mpiranya et Callixte Nzabonimana. « Nous pensons qu'ils sont actuellement au Congo. Mais il y en a bien d'autres là-bas ainsi que dans toute l'Afrique et lEurope », a affirmé Pierre-Richard Prosper. La liste des accusés recherchés n'a toutefois pas été actualisée depuis un an et demi sur le site internet du Département d'Etat. En outre, le site ne mentionne que six des huit accusés présumés réfugiés au Congo, mais publie le nom de sept autres accusés. 
Autre cible prioritaire de l'ambassadeur américain : l'Armée de libération du Rwanda (ALIR), « un groupe terroriste lié au meurtre de citoyens britanniques et américains dans le parc national de Bwindi, en 1999 », a-t-il rappelé. Avant le lancement officiel, le mois prochain à Kinshasa, de la campagne pour la capture des huit accusés présumés réfugiés au Congo, Pierre-Richard Prosper et son équipe devaient se rendre le 13 juin à Rome pour rencontrer Joseph Kabila et s'assurer du soutien du président de la République démocratique du Congo. Interrogé sur le bien-fondé de cette visite étant donné lexistence de preuves démontrant le soutien apporté par le régime de Joseph Kabila aux ex-forces armées rwandaises et anciens miliciens Interahamwe, Pierre Prosper est resté évasif. « Notre message à Kabila sera clair : il devra travailler avec nous s'il est déterminé à livrer ces personnes à la justice », a-t-il simplement déclaré. L'ambassadeur américain s'est aussi refusé à donner plus de détails sur le nombre de personnes et le budget de la « Task Force » qui sera installée dans l'immeuble du Barclays Plaza, dans le centre de Nairobi. Le ministre de la justice kenyan, Amos Wako, a pour sa part précisé quil comptait sur les réfugiés de pays voisins Soudan, Somalie, Ouganda - présents au Kenya pour obtenir des informations facilitant la capture de Félicien Kabuga. 

Relations bien placées
 
La campagne que lancent les Etats-Unis contre Félicien Kabuga pourrait imprimer un nouveau rythme à la traque de celui qui a réussi à échapper jusqu'ici à toutes les tentatives darrestation, vraisemblablement grâce à un réseau de relations particulièrement bien placées. Réfugié en Suisse dès juin 1994, Félicien Kabuga est expulsé en août. Il senvole pour le Zaïre avant que les associations rwandaises suisses n'aient le temps de porter plainte contre lui et avec le soutien financier du conseil fédéral, qui a pris en charge ses frais de départ. Avec  la mise en place du TPIR en 1995, Félicien Kabuga devient rapidement une des cibles des enquêteurs du procureur. Le 18 juillet 1997, il échappe au Kenya à l'opération « Naki », après avoir été repéré dans une résidence du quartier Karen de Nairobi. Selon un rapport de l'International Crisis Group (ICG) de juin 2001, « les enquêteurs ont trouvé une note manuscrite expliquant qu'un officier de la police kenyane avait averti Kabuga de quitter les lieux. Aujourdhui, ces graves allégations continuent de peser sur le pouvoir kenyan. » Pour les enquêteurs du TPIR, l'échec de l'opération Naki n'est que le début d'une longue traque d'un accusé qui, à leurs yeux, est protégé par la famille du président Daniel arap Moi. En avril 1998, selon ICG, ils localisent ainsi Félicien Kabuga dans une maison appartenant probablement à Hosea Kiplagat, neveu du président Moi. Cette même maison jouxte celle du fils du président, Gideon Moi. D'après un rapport de 1999 de la commission d'enquête des Nations Unies sur les achats d'armes des anciennes milices du gouvernement rwandais déchu, Félicien Kabuga aurait été vu en Asie du Sud-Est en septembre 1998. En 2000, il aurait transité sur le territoire belge, où sa femme réside.
 
Ambiguïtés

Faut-il voir dans le lancement de la campagne anti-Kabuga au Kenya le signe que l'accusé y est toujours présent ? Ni Pierre-Richard Prosper, ni Amos Wako, le ministre de la justice kenyan, n'ont donné de précisions à ce sujet. « Nous savons quil était récemment au Kenya, mais nous ne savons pas encore si c'est toujours le cas », a déclaré Pierre Prosper. « Le Kenya a déjà livré 13 accusés au TPIR », a affirmé pour sa part Amos Wako. « Si Félicien Kabuga est présent au Kenya, il sera arrêté et livré au TPIR pour un procès juste. S'il n'y est pas, nous les avertissons, lui et ses associés, de ne pas y mettre les pieds », a-t-il ajouté, avant de rappeler que la loi kenyane ne l'autorisait pas à saisir ses biens. L'ambassadeur américain ne s'est pas montré plus loquace sur les informations circulant selon lesquelles les biens de Félicien Kabuga auraient été récemment remis à sa famille au Rwanda et ses enfants, vivant en Europe, invités à revenir au pays des mille collines. « Je n'ai aucune information à ce sujet », a affirmé Pierre Prosper. 

Facteurs globaux, contexte régional
 
Si la campagne pour la capture de Kabuga garde ses mystères, plusieurs raisons sont avancées pour expliquer son coup d'envoi public. Sur un plan général, la campagne permet aux Etats-Unis de démontrer qu'ils ne sont pas contre la justice internationale alors même qu'ils sopposent fermement à la nouvelle Cour permanente internationale (CPI). Interrogé à ce sujet, Pierre Prosper a tenu à séparer les deux questions : « Cette [campagne] est différente du problème de la CPI. Elle s'inscrit dans notre effort continu pour soutenir le TPIY et le TPIR. La CPI n'est pas une institution de l'Onu ». L'enjeu de la lutte contre le terrorisme est aussi évoqué en toile d'horizon. Les Etats-Unis exigent désormais de leurs alliés qu'ils se montrent sans faille dans leur coopération « anti-terreur ». Or, le Kenya est une zone où l'influence dal-Qaida s'est violemment illustrée en 1998. 
Sur un plan plus régional, en étendant la campagne au Congo, les Américains veulent appuyer le règlement de la question cruciale de la neutralisation des anciennes forces armées rwandaises. C'est ce facteur, en effet, qui est avancé avec constance par le Rwanda pour justifier la présence de ses troupes au Congo. Le rôle des ex-FAR est ainsi un obstacle connu au processus de paix en RDC et à l'exigence du retrait des forces étrangères le Rwanda et l'Ouganda en particulier formulé par le président Kabila. Enfin, en ce qui concerne plus singulièrement Kabuga, une dernière hypothèse est avancée, qui évoque un possible délitement de ses soutiens kenyans. L'homme d'affaires a
néanmoins jusqu'ici prouvé qu'il savait se faire protéger. 

Arnaud Grellier 
Arusha, le 14 juin 2002