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LIBERATIONS DE PRISONNIERS
UN RISQUE POUR LE SYSTEME GACACA
 
16 janvier 2003
 
African Rights met en doute l'intention du Gouvernement rwandais de mettre environ
30.000 à 40.000 détenus présumés génocidaires en liberté provisoire sous caution. Elle
craint fort que cette décision soudaine, annoncée dans un communiqué présidentiel le
1er janvier 2003, ne compromette les efforts de justice des tribunaux gacaca à l'égard
des victimes et survivants du génocide de 1994.
 
Les personnes visées par ces libérations sont les suspects de génocide ayant
avouéà l'exclusion de ceux accusés d'être à la tête des tueries, ceux qui avaient
entre 14 et 18 ans à l'époque du génocide, des prisonniers âgés, des malades
chroniques et "les autres personnes accusées de crimes ordinaires". Cette mesure ne
s'appliquera quaux "détenus qui risquent d'être incarcérés plus longtemps que la
durée légalement prescrite." S'il est tout à fait compréhensible que le gouvernement
cherche à éviter les détentions illégales et les injustices quelles impliquent, nous
estimons qu'un tel risque est à mesurer par rapport au chaos potentiel que ces
libérations pourraient entraîner pour l'administration de la justice en matière de
génocide et qu'il est donc impératif de tenter de trouver une autre solution.
 
Il est clairement déclaré que les prisonniers continueront de faire l'objet dune
procédure judiciaire et qu'il leur est purement offert une "liberté provisoire." Mais il est
peu probable que cela puisse rassurer les survivants et les témoins du génocide,
perturbés de voir que les suspects risquent de saisir l'occasion pour attaquer leurs
accusateurs ou échapper à la justice par le jeu de pots-de-vin ou en fuyant se cacher ou
se réfugier en exil. La "liberté provisoire" en masse constitue une voie totalement
inconnue. Il y a peu de chances que le Ministère de la Justice ou un bureau quelconque
du gouvernement soit en mesure d'offrir des garanties quant à ses conséquences. Les
poursuites liées au génocide, sous tous leurs aspects et dès le départ, ont contraint le
Ministère de la Justice à faire un saut dans l'inconnu en vue de relever des défis
colossaux mais, immanquablement, cette nouvelle démarche ne va faire que compliquer
encore ses difficultés actuelles.
 
Les institutions judiciaires, déjà beaucoup surchargées, doivent à présent se hâter
d'examiner les dossiers des détenus concernés dans un délai de trente jours ; ceci à une
époque où l'introduction du régime gacaca à l'échelle nationale nest pas sans exercer
des pressions. Alors même que les tribunaux gacaca se mettent à louvrage, nombre
dentre eux seront désormais confrontés à des difficultés pratiques supplémentaires et
tout à fait inattendues. Tout dabord, l'Etat ne peut plus garantir la présence au tribunal
des prisonniers ayant fait des aveux. De ce fait même, le seul facteur fiable des procès
gacaca se trouve compliqué. Plus perturbant encore, le risque de voir les prisonniers
relâchés, de retour dans leurs communautés, intimider les résidents, empêchant ainsi
une plus vaste participation aux procès est susceptible de nuire voire de traumatiser
des individus. Les promesses du gouvernement concernant la fourniture dun plus
grand nombre de conseillers et un renforcement de la sécurité dans les tribunaux sont
certes les bienvenues, mais inévitablement elles ne peuvent pas protéger les juges et
les témoins à charge durant la période qui précède les audiences.
 
Comme il ressort du rapport à paraître d'African Rights, La justice gacaca : une
responsabilité partagée, la mise en oeuvre du régime gacaca est déjà bridée par la
réticence des témoins à dénoncer les auteurs et par divers problèmes logistiques, y
compris des lacunes juridiques, linadéquation de certains juges (Inyangamugayo) face
à leur tâche, et la baisse constante de la participation populaire dans certaines régions.
Mais, et cest là le noeud de l'affaire, nous estimons que les libérations vont éroder la
confiance des masses à l'égard du système alors que c'est sur ce facteur, comme le
montrent nos conclusions, que repose la réussite même des juridictions gacaca. Sur la
base de nos recherches antérieures concernant les attitudes envers la justice, tout tend
à démontrer que les libérations auront un effet adverse sur toutes les parties impliquées
dans le système gacaca.
 
Même si ce ne sont pas les premières libérations de prisonniers présumés génocidaires
les chiffres concernés sont, et de loin, les plus grands envisagés à ce jour. Auparavant,
le gouvernement avait désigné des groupes de prisonniers spécifiques en prônant leur
libération inconditionnelle pour des motifs humanitaires ; il s'agissait des personnes
âgées, des malades chroniques et des mineurs. Le fait que ce dernier lot comprendra
aussi ces groupes mais apparemment sous des conditions différentesen ce sens
quils seront jugés ne manquera pas de semer la confusion dans les esprits.
 
Les réactions au sein des détenus face à ces libérations antérieures, comme expliqué
dans le rapport de juin 2000 d'African Rights : Aveu de Génocide, suggèrent comment
ce développement récent risque d'être perçu. A l'époque, les prisonniers et les
responsables de la justice ont presque unanimement exprimé leur opposition à la
libération des prisonniers âgés, soutenant que nombre d'entre eux avaient dirigé les
massacres et influencé les plus jeunes. De surcroît, les libérations sélectives incitaient
les détenus à penser que, s'ils gardaient le silence, le fardeau économique imposé par
leur incarcération allait tôt ou tard entraîner leur libération. Ce phénomène a été un
obstacle majeur au bon fonctionnement de la procédure daveu de culpabilité avec
plaidoirie assortie, telle quelle était en vigueur avant l'introduction du système gacaca.
Gacaca a reçu un meilleur accueil car les détenus espéraient un traitement beaucoup
plus indulgent et des procès plus rapides. Ils auront certainement été frustrés par les
retards rencontrés jusqu'ici et les libérations permettront de soulager ce sentiment,
dans certains cas. Mais au lieu dencourager les autres à faire des aveux solides, il se
peut quelles incitent les prisonniers à faire preuve d'opportunisme, offrant des
confessions partielles ou inexactes aux seules fins de bénéficier dune libération
immédiate. Enfin et surtout, les libérations renforceront la notion que le gouvernement
n'est pas capable dadministrer correctement la justice eu égard au génocide.

Il y a déjà eu des incohérences notables dans les procès du génocide suite à
l'introduction, dabord, de la procédure d'aveu de culpabilité avec plaidoirie assortie et,
par la suite, du régime gacaca. Il est logique que le gouvernement cherche à harmoniser
le système en "offrant", comme le suggère le communiqué émanant de la présidence,
aux prisonniers qui ont passé aux aveux avant l'introduction du régime gacaca "les
avantages mis à la disposition de ceux ayant avoué aux termes de la loi instaurant les
tribunaux gacaca". Mais la situation actuelle de quelques 120.000 détenus des prisons
rwandaises dure depuis des années et avec elle une appréciation des contraintes
temporelles impliquées. Il est regrettable qu'il y ait eu des retards dans l'introduction à
l'échelle nationale du régime gacaca et ces retards sont très probablement au coeur du
problème. Mais rien n'a été fait pour préparer la population ou les tribunaux gacaca à la
possibilité de libérations imminentes à grande échelle. La moindre idée que le
gouvernement faiblit dans son engagement de mettre en place un système gacaca sous
sa forme initiale engendrera la confusion du public et une profonde démotivation.
 
Il y a tout juste six mois que les 12 premiers secteurs pilotes ont entamé les activités des
juridictions gacaca. Les secteurs où les travaux sont les plus avancés en sont
uniquement au stade de la collecte des informations nécessaires à la classification des
suspects. Il est bien possible quun très grand nombre de prisonniers ayant passé aux
aveux naient donné que des récits superficiels ou partiels et craignent aujourd'hui de
se voir dénoncés, lors des procès gacaca, pour les crimes qu'ils nont pas avoués. Le
système gacaca a été introduit, en grande partie, du fait que la procédure de culpabilité
avec plaidoirie assortie introduite en 1996 n'avait pas accéléré la cadence de la justice
comme on l'espérait. Il a fallu du temps et des ressources humaines considérables pour
déterminer la véracité et la nature exacte des confessions des prisonniers, processus
qui a ralenti le cours de la justice. Les témoins qui restent à comparaître comprennent
des détenus ayant passé aux aveux. Cest seulement une fois que les détenus auront eu
l'occasion de confronter les résidents des collines qu'il sera possible de déterminer si
leurs aveux sont complets et sincères. Si ces détenus sont capables de rentrer chez eux
dès maintenant, ils auront le loisir dinfluer sur laboutissement de leur dossier.
 
Le communiqué affectera aussi sans nul doute limpartialité des juges gacaca. Ces
derniers n'exercent pas leurs responsabilités en autarcie mais dans un environnement
social et politique donné. Quels que soient les arguments contraires avancés, en réalité
il sera très difficile pour ces juges de renvoyer en prison des milliers de détenus que
l'Etat aura préalablement décidé de libérer, notamment dans un pays où le respect de
l'autorité est profondément enraciné.
De surcroît, dans son ouvrage La Justice Gacaca, African Rights souligne qu'il nexiste
pas encore de consensus définitif sur les torts passés ni d'unanimité sur le sens et le
but des initiatives judiciaires au Rwanda. Nous suggérons que la nature participative
des juridictions gacaca offre la possibilité de dépolitiser la question en la plaçant
ouvertement dans une tribune civile. Le communiqué de libération des prisonniers aura
de profondes implications sur les rouages des tribunaux gacaca et cette brusque
décision dimportance capitale les prendra par surprise. African Rights espère que le
Gouvernement rwandais prendra le temps de réfléchir sur la meilleure stratégie de
convaincre son peuple que la justice en matière de génocide est une entreprise civile et
morale et non une initiative politique ou une simple tombola.

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