L' UFDR attend toujours la réponse de l' ADRN-IGIHANGO
À la fin de l'année 2001, lorsque l'homme d'affaires rwandais Valens
Kajeguhakwa a entamé son projet d'alliance des partis de l'opposition
civile rwandaise en exil avec l'organisation politico-militaire « Forces
Démocratiques pour la Libération du Rwanda-FDLR » dont les troupes
opèrent au Congo, ceux qui se considéraient comme les leaders de
l'opposition ont dû sentir que quelque chose leur échappait. Il
semblerait qu'ils ont été nombreux à le contacter ou à être contactés
par lui dans ce cadre. Ces tractations secrètes ont rapidement abouti
le 28 mars 2002, après quelques jours de pourparlers, à une alliance
entre trois des plus jeunes (post 2000) formations politiques opposées
au régime du général Kagame. Il s'agit du FDLR, bien entendu, des
royalistes de Nation Imbaga y'Inyabutatu et de transfuges du FPR
réunis dans l'Alliance pour la Renaissance de la Nation-ARENA. Bien
que lon en entende plus beaucoup parler, ce pacte a eu un certain
impact - surtout psychologique et médiatique - mais on en connait
pas encore tous les dessous vu la rapidité et le secret avec lesquels le
tout s'est fait.
Comment cela s'est-il déroulé chez les « aînés » dans
l'opposition?
Avant de se rendre au Congo pour rencontrer le FDLR en février 2002,
Kajeguhakwa aurait demandé à l'Union des Forces Démocratiques
Rwandaises-UFDR- (l'alliance entre le Rassemblement pour le Retour
des Réfugiés et la Démocratie-RDR et les Forces de Résistance pour la
Démocratie-FRD) de le mandater officiellement comme médiateur
(comme cela aurait été fait dans d'autres organisations). La direction
de l'UFDR lui aurait demandé de commencer par présenter son projet
pour qu'il soit examiné, afin que l'UFDR sache avec qui il allait s'allier,
les orientations et les principes politiques qui seraient suivis, etc.
« Nous ne sommes pas opposés aux alliances parce qu'un des objectifs
de l'UFDR c'est justement l'unité d'action au sein de l'opposition
démocratique. Mais il est compréhensible que nous n'allions pas signer
un chèque en blanc sans savoir de quoi il s'agissait. C'est pour cette
raison que nous avons proposé à Kajeguhakwa de nous rencontrer
d'abord, pour en discuter, pour linformer du bilan de nos réalisations et
pour lui faire part de notre programme politique et de la façon dont
nous pensons que les problèmes de notre pays peuvent être résolus.
Tous ceux qui veulent faire de la politique ou prétendent au leadership
doivent savoir que la situation a changé; aujourd'hui les citoyens
rwandais ne veulent être menés par le bout du nez ; ils veulent
adhérer à des projets qu'ils maîtrisent bien et où ils ne sont pas de
simples figurants » nous a déclaré Eugène Ndahayo. Ceci contredirait
donc des rumeurs en provenance de certains proches du FRD
bruxellois tendant à faire accréditer l'idée que l'UFDR - ou le FRD - a
demandé à entrer dans l'ADRN en passant outre l'avis de ses membres
mais qu'elle s'est vu fermer la porte au nez.
Pas de crise au FRD?
Le 27 avril dernier, l'UFDR a tenu son premier congrès depuis la
démission de Twagiramungu en décembre 2001. Selon la "charte de
collaboration" qui régit l'UFDR, celle-ci est présidée par un des
présidents des organisations membres par rotation et par ordre
alphabétique des noms des organisations ; c'est ainsi que le poste de
président est revenu au FRD et que Ndahayo (Présidents des FRD) qui
réside en France actuellement est le président de l'UFDR pour un an.
Le Secrétariat Exécutif est revenu à Jean de Dieu Tulikumana
(résidant en Belgique, siège du parti) qui occupe les mêmes fonctions
dans son parti d'origine le FRD.
La collaboration avec d'autres fédérations de partis politiques était à
l'ordre du jour du congrès du 27 avril.
L'UFDR a proposé à lAlliance Démocratique pour la Réconciliation
Nationale-ADRN-Igihango et aussi à lAlliance Démocratique Rwandaise
ADR-Isangano qui comprend le Congrès Démocratique Africain CDA et
le Movement for Peace, Development and Democracy-MPDD, de
constituer un front commun. Ndahayo précise "nous leur avons donné
notre point de vue, il nous ferons savoir leur propre façon de voir et
s'il y a convergence avec la ligne de l'UFDR nous concrétiserons
l'idée".
En ce qui concerne plus spécifiquement le FDLR, Ndahayo dit ne pas
en connaître grand chose. Ce qu'il en sait c'est ce qu'il lit dans les
journaux ou ce qui passe sur l'internet. On dit qu'il y aurait deux
parties dans le FDLR, l'une opérerait à partir Kinshasa et combattrait
au sein des troupes de Kabila dans la guerre du Congo, tandis que
l'autre, qui semble être autonome, camperait dans les forêts de Masisi
et dans d'autres « maquis » de l'Est du Congo ; c'est cette dernière
partie qui envoyait les combattants infiltrés Hutu (bacengezi
prononcez batshenguézi) au Rwanda.
Certains assimilent aussi le FDLR avec l'organisation politico-militaire
« Armée de Libération du Rwanda-ALIR » et avancent qu'en raison de
la mauvaise image de marque dont « jouissait » cette organisation
dans la presse internationale et de sa mise à l'index par les USA
comme organisation terroriste, il a été nécessaire de changer de nom
et de ravaler sa façade. Les tenants de cette thèse sont convaincus
que c'est pour cette raison qu'une direction civile a été mise sur pied
(Ignace Murwanashyaka, Jean-Marie Vianney Higiro, etc.) pour
remplacer le commandement militaire à l'origine de ce mouvement.
Selon les mêmes, les véritables chefs du FDLR seraient des officiers
supérieurs ex-FAR tels Ntiwiragabo, Mpiranya ancien chef de la garde
présidentielle (de feu Juvénal Habyarimana) et Tharcisse Renzaho
commandant militaire et maire de la capitale Kigali pendant la guerre
de 1990 à 1994. Quoi qu'il en soit, ajoute Ndahayo, à l'instar de la
nécessaire réforme des institutions dans notre pays, l'armée aussi doit
être restructurée parce qu'au lieu protéger la population, elle a
(toujours) été l'instrument de ceux qui veulent opprimer une partie de
la population en se servant de la carte ethnique, régionale ou d'autres
critères de discrimination. Pour que cette armée (nationale) puisse
accomplir sa mission, elle ne devrait pas se mêler de politique mais
actuellement nous en sommes au point où l'armée s'est placée au-
dessus de la Constitution et des Institutions.
Ndahayo admet qu'une partie des ex-FAR n'a pas trempé dans les
atrocités de 94. De même, certains au sein de lAPR ne soutiennent
pas les tueries qui ont lieu aujourd'hui au Rwanda. Tous ceux-ci
devraient se démarquer et collaborer avec lUFDR pour éradiquer à
jamais les dictatures prédatrices et instaurer à la place une
démocratie et un État de droit. Il considère aussi qu'en raison de ses
principes, il ne pourrait pas prendre part à des actions visant à
blanchir des meurtriers, qu'il s'agisse de ceux du régime déchu ou de
personnes (ayant été) membres du pouvoir actuel; ceux qui se livrent
à de telles pratiques en espérant regagner la confiance de certains
milieux, finissent par se discréditer complètement.
Crise au FRD
L'ancien président de l'UFDR et président du MDR de 1992 à 1995
Faustin Twagiramungu que nous avons pu joindre le 21 juin chez lui à
Bruxelles, est beaucoup plus catégorique que son actuel chef de parti
en ce qui concerne une éventuelle collaboration avec l'opposition
armée. Pour lui, il n'est pas question de s'allier avec le FDLR,
premièrement parce qu'il ne croit pas en l'option militaire et
deuxièmement parce qu'il préférerait mourir plutôt que d'entrer dans
IGIHANGO, l'alliance avec cette organisation politico-militaire qu'il ne
distingue pas de ceux qui ont commis les atrocités de 1994, leurs
planificateurs du parti MRND et l'armée en débandade. « Ils ont été
défait lamentablement par le l'APR et aujourdhui ils prétendent pouvoir
faire face alors qu'ils nont pas changé ».
S'il critique aujourd'hui l'alliance avec le RDR c'est parce qu'ils n'ont
pas évolué par rapport au MRND et qu'il ne peut pas être à sa
remorque. Lui voulait une organisation unique et nouvelle dans ses
idées.
L'alliance de l'opposition initiée par Valens Kajeguhakwa à la demande
du FDLR ne serait rien d'autre que la « copie conforme du FPR » d'il y a
dix ans mais sans son organisation et ses réseaux. Elle serait vouée à
l'échec parce qu'aucun pays voisin du Rwanda n'acceptera de la
soutenir et son seul allié Kabila n'est pas à la hauteur. L'alliance avec
le RDR au sein du UFDR n'a pas été évidente parce que les idées du
RDR sont celles du défunt MRND et c'est suite à son échec de ne
former qu'un seul parti que Twagiramungu a décidé d'abandonner la
partie en août 2001 dans les faits mais formellement en décembre. Il
se serait fait dire par ses propres alliés qu'aucun Hutu n'accepterait de
former une organisation unique dans laquelle lui Twagiramungu se
trouverait parce qu'il serait considéré comme un traître de « la cause
Hutu » (avant la catastrophe 94, Twagiramungu était parmi les
fervents promoteurs de la coopération de l'opposition interne avec les
rebelles du FPR).
Selon Twagiramungu, il y a un problème sérieux parce que le FRD et
lUFDR ne sont plus ce qu'ils étaient au départ. Il dit être encore un
membre actif qui veut laisser la place aux jeunes « entre 25 et 36
ans » qui ont dépassé les questions ethniques. Son différend avec la
direction actuelle du FRD - et donc de l'UFDR - est due à des visions
politiques divergentes et pas à un problème personnel. L'époque des
Hutus taillables et corvéables à merci est passée et il faut voir les
problèmes du Rwanda dans une perspective nouvelle.
Pour combattre le régime militaire, il exclut la force parce que cela ne
mènerait à rien mais que ce qu'il faut c'est le dialogue et faire
pression sur Kagame sans recourir aux armes. Seuls des mouvements
pacifistes et démocratiques peuvent arriver à quelque chose. Et
surtout cela doit se faire sur place, au Rwanda, il ne croit pas en
l'efficacité d'une « diaspora politique » dont la principale activité est
l'envoi de déclaration et de communiqué sur l'internet. « Pour se faire
rire, les gens se chatouillent eux-mêmes » est l'image qu'il a utilisé en
kinyarwanda à propos dune certaine opposition, exactement la même
que Ndahayo.
Il approuve la démarche de Pasteur Bizimungu de lutter à l'intérieur
parce qu'il faut se sacrifier mais juge que lancien chef de l'Etat qui a
grandement contribué au système actuel a fait preuve d'opportunisme
et qu'il nest pas le mieux indiqué pour critiquer un système qu'il a mis
en place avec zèle. En plus de cela, certaines des déclarations de
Bizimungu - notamment son interview dans Jeune Afrique, l'Intelligent
- étaient dangereuses et irresponsables.
Twagiramungu a tenu à nous faire savoir qu'il nest pas réfugié en
Belgique et qu'il compte retourner au Rwanda un jour (pas pour les
élections de 2003). Si ça lui convient, il y restera, si non il retournera
en Belgique s'il en a toujours la possibilité. En ce qui concerne l'avenir
immédiat du FRD, une réunion des membres bruxellois - qui
constituerait le gros des « troupes » du FRD - devrait avoir lieu avant
la fin du mois de juin pour discuter de récentes décisions prises au
nom du parti et dans le cadre de lUFDR Twagiramungu y participera.
Le Général Président Kagame peut dormir tranquille, l'ancien Premier
Ministre Twagiramungu ne prendra pas les armes contre lui et
l'opposition « se cherche » encore.
à Suivre
Les Antécédants du FRD et de l'UFDR
Le parti des Forces de Résistance pour la Démocratie-FRD a été lancé
en mars 1996; cela faisait 7 mois que l'ancien premier ministre
rwandais Faustin Twagiramungu s'était exilé à Bruxelles, feu Seth
Sendashonga résidait toujours à Naïrobi. Dans ses débuts le FRD
n'avait pas de président, il y avait à son sommet une direction
collégiale composée de ces deux ténors représentant deux pôles
(Naïrobi et Bruxelles), un secrétaire exécutif, Jean de dieu Tulikumana
et deux trésoriers. C'est en août 1997 que les organes du parti ont
été mis en place et Eugène Ndahayo a été élu président du FRD. Ce
serait, paraît-il, parce que les deux vedettes n'ont pas su se mettre
d'accord sur qui d'entre eux deux serait le président que le poste est
revenu à cette personne moins connue, plus jeune et moins
expérimentée. Avant son exil en France, Mr Ndahayo avait été
directeur de cabinet au ministère de l'information (1993 - 95) et
secrétaire exécutif ( équivalent du secrétaire général) du Mouvement
Démocratique Républicain-MDR (1994 - 95). A l'entendre ce serait lui
qui aurait eu le premier l'idée d'un nouveau parti avec un autre ancien
du MDR, en exil comme lui à Naïrobi, Sixbert Musangamfura
(journaliste- propriétaire du magazine ISIBO avant 94, Directeur des
services de renseignement du premier ministre de août 94 jusqu'à la
démission de Twagiramungu en août 95). L'ancien directeur de cabinet
au ministère des finances post 94, Jean-Marie Vianney Nkezabera sera
le 1er vice-président, la seconde vice-présidence sera confiée à
Eugène Ruberangeyo (ancien ordonnateur trésorier du gouvernement)
et il y aura aussi des commissaires : l'ancien député du Parti Socialiste
Rwandais (1994-97), Jean Baptiste Mberabahizi à la mobilisation
politique et l'ancien ministre MDR du « Cabinet Twagiramungu » (1994-
95), le journaliste Jean Baptiste Nkuliyingoma à l'information.
C'est le 20 septembre 1998 que FRD et le Rassemblement pour le
Retour des Réfugiés et la Démocratie-RDR ont uni leurs forces dans
l'alliance UFDR, avec le soutien du Groupe d'Initiative pour le
Dialogue-GID (un groupes de vétérans de la politique ou de
l'administration rwandaise tels les anciens ministres de Habyarimana
Cléophas Kanyarwanda, Thaddée Bagaragaza, l'ambassadeur Canisius
Karake et l'ancien haut fonctionnaire Placide Mwitende).
Ndahayo admet que la coalition avec le RDR ne s'est pas faite sans
difficulté mais qu'ils sont parvenu à s'entendre sur des principes de
base qui guident leur coopération au sein de l'UFDR. Aujourd'hui c'est
cette alliance à la tête de laquelle il est pourtant resté quatre ans
durant, que Twagiramungu critiquerait.
La retraite anticipée de Faustin Twagiramungu?
Faustin Twagiramungu a été présenté par le FRD comme candidat au
poste de président de lUFDR et les autres partenaires (RDR na GID)
ont soutenu sa candidature. Il a occupé ce poste jusqu'au
15 décembre 2001, lorsqu'il a démissionné trois mois avant la fin de
son mandat. Une des raisons qui l'aurait poussé à se retirer serait qu'il
n'aurait pas pu s'entendre avec les deux partis qui composent l'UFDR.
Il aurait souhaité faire de l'UFDR un parti unique au lieu d'être une
coalition de partis mais son idée à été rejetée par les deux partis
intéressés, y compris donc son propre parti d'origine.
Après son départ de la direction de l'UFDR, il a pris la décision de quitter aussi celle du FRD dans laquelle il était conseiller politique et diplomatique depuis août 1997, pour n'être plus qu'un membre ordinaire.
Le 21 février 1996, alors que le lancement du FRD allait être rendu public, l'ancien ministre de l'intérieur Seth Sendashonga a échappé de peu à une tentative d'assassinat pour la quelle un diplomate rwandais a été incarcéré temporairement. Le FRD naîtra officiellement le mois suivant. En mai 1998, Sendashonga a été assassiné à bord d'une voiture et en plein jour à Naïrobi. Les autorités de Kigali ont d'abord fait circuler la thèse d'un règlement de compte lié au commerce de devises et ensuite celle de différends liés à l'octroi de marchés publics du ministère de l'intérieur.
En juillet 2001, Twagiramungu a demandé au président de son parti qu'un congrès se tienne pour restructurer les organes du FRD et revoir ses orientations. Ce congrès aura finalement lieu le 9 mars 2002 à Paris alors que Twagiramungu a quitté la présidence de l'alliance UFDR. Twagiramungu aurait souhaité se présenter au poste de président de parti au congrès même mais cela lui a été refusé parce que « ce n'était pas conforme aux directives de campagne qui exigeaient des candidats de se manifester avant ». Devant cet échec il n'aurait pas fait le déplacement pour participer à cette réunion. Eugène Ndahayo a été reconduit à son poste de président du FRD et l'ancien conseiller d'ambassade du Rwanda à Kinshasa (1994 -95), Jean de Dieu Tulikumana a été du secrétariat exécutif.
Placide Muhigana
(Conversation avec Eugène Ndahayo Président de l' UFDR et du FRD, 15 juin et Twagiramungu, ancien président du Mouvement démocratique Républicain, ancien premier ministre du Rwanda, ancien président de lUFDR et membre fondateur des Forces de Résistance de la Démocratie, le 21 juin 2002.)
À lire :
Eugène Ndahayo, Rwanda, le dessous des cartes, L'Harmattan, Paris, France, 2000, 279 p.