AVANT PROJET DE LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE RWANDAISE
(Texte présenté pour validation dans la réunion tenue à Kigali du 8-10 novembre 02)
I. DU CONTEXTE JURIDIQUE ET POLITIQUE
Au travers de son histoire constitutionnelle, le Rwanda na jamais eu une Constitution qui répondait réellement aux problèmes de la nation rwandaise.
Les raisons sont multiples :
- Ces Constitutions étaient souvent calquées sur des modèles étrangers ignorant entièrement les réalités du pays ;
- La population nétait aucunement associée à lélaboration de ces Constitutions ;
- Elles étaient souvent taillées à la mesure des dirigeants du moment.
Pour rappel, elles ont eu successivement pour principal objectif :
1. La suppression ou labolition de la monarchie et linstauration de la République (1961);
2. La consolidation de la République et linstauration dun multipartisme théorique (1962) ;
3. La suppression du multipartisme et linstauration dun système de parti unique (1978) ;
4. La restauration du multipartisme (1991) ;
5. La mise sur pied de la Loi fondamentale réunissant plusieurs textes y compris la constitution de 1991, et organisant leur application :
a) LAccord de Paix dArusha du 4 Août 1993 qui avait pour but de mettre un terme à la guerre par la négociation, dinstaurer un Etat de droit, de rapatrier les réfugiés rwandais, de partager le pouvoir et de fusionner les armées ;
b) La Déclaration du FPR du 17/07/94 mettant en place les Institutions de lEtat, et écartant du partage du pouvoir les partis ayant organisé et perpétré le génocide et les massacres;
c) Le Protocole dAccord entre les forces politiques FPR, MDR, PDC, PDI, PL, PSD, PSR et UDPR sur la mise en place des institutions nationales signé le 24 novembre 1994 adoptant la déclaration du FPR du 17/07/94 et organisant le partage des sièges à lAssemblée Nationale de Transition.
La Loi Fondamentale de Transition, quant à elle, même si elle a le mérite davoir organisé dune part, le partage réel du pouvoir entre les différents partis politiques reconnus dans le pays, et dautre part, dinstaurer un Etat de droit caractérisé par une justice qui repose sur la reconnaissance et lacceptation entière de la valeur ultime de la personne humaine, elle a la faiblesse dêtre constituée de plusieurs textes différents, conçus à différentes époques, dans des situations différentes, et motivée par des préoccupations divergentes.
Certaines de ces dispositions sont devenues caduques, voire même contradictoires. En guise de correction, la Loi Fondamentale prévoit, en son article 2, quen cas de conflit entre les dispositions des textes qui la constituent, cest la plus récente qui sapplique.
De plus, le génocide, dont lidéologie et sa concrétisation remontent aux années 50 et qui a connu son paroxysme en 1994 avec le massacre de plus dun million de personnes, a profondément déchiré la société rwandaise, et ébranlé la confiance des rwandais dans leurs institutions.
Aux termes des articles 24,B 1 et 2, ainsi que de lart. 41 du Protocole dAccord entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais sur le partage du pouvoir dans le cadre dun gouvernement de transition à base élargie, après la période de transition, le pays doit être régi par une nouvelle Constitution. Une Commission Juridique et Constitutionnelle a été créée par la loi à cette fin .
En vue délaborer une Constitution répondant aux attentes de la population et adaptée au contexte socio-politique du pays, la Commission Juridique et Constitutionnelle a opté pour une approche participative et inclusive cest-à-dire celle qui assure la pleine participation de la population. Un plan de consultation a été préparé à cet effet. Il devait offrir aux rwandais un cadre permettant dexprimer facilement leurs idées et de faciliter lexploitation et le traitement des informations recueillies.
Cette consultation populaire a été menée auprès de tous les rwandais se trouvant tant à lintérieur quà lextérieur du pays après une information sur les éléments clefs qui doivent figurer dans une Constitution.
Il importe de préciser quoutre les thèmes spécifiques figurant dans la plupart des constitutions classiques, certains aspects propres au contexte rwandais ont été débattus à fond afin de tirer des principes à intégrer dans la nouvelle Constitution.
Il sagit entre autres des valeurs positives de la culture rwandaise et des mécanismes pour en assurer la promotion, de la jouissance effective des droits et des libertés, de la protection des personnes défavorisées de la communauté, des acquis positifs de la Transition tels que la Décentralisation, les Juridictions Gacaca, etc.
Les résultats recueillis dans la consultation populaire ont été portés à la connaissance de la population pour leur validation. Cest sur cette base que lavant projet de Constitution a été élaboré tout en tenant en considération les exemples des autres pays.
II. DES PRINCIPES FONDAMENTAUX
Les idées-forces qui sous-tendent la nouvelle constitution et qui sont érigées en principes fondamentaux auxquels lEtat sengage à se conformer et à faire respecter, sont contenues dans les dispositions de larticle 9 de la Constitution.
Ces principes sont les suivants :
1. Le partage équitable du pouvoir ;
2. Linstauration dun Etat de droit et du régime démocratique pluraliste ;
3. La lutte contre lidéologie du génocide et toutes ses manifestations ;
4. Léradication des divisions ethniques et régionales et la promotion de lunité nationale ;
5. Légalité de tous les rwandais et entre les rwandaises et les rwandais ;
6. Lédification dun Etat voué au bien-être de la population et à la justice sociale ;
7. La recherche permanente de dialogue et de consensus social.
III. DES NOUVEAUTES
Pour une meilleure mise en uvre des principes fondamentaux cités plus haut, il a fallu apporter plusieurs nouveautés à la Constitution.
1. La mission, lorganisation et le mode de fonctionnement nouveaux des partis politiques ainsi que linstitutionnalisation du forum des partis politiques.
Vu les inquiétudes exprimées par la population sur le rôle joué par certains partis politiques et leur dirigeants depuis les années 50, et plus particulièrement pendant le Génocide de 1994, il a fallu prévoir des dispositions particulières, relatives aux partis politiques.
Cest ainsi que les dispositions des articles 53 à 60 consacrent le multipartisme, rappellent léthique qui doit guider les partis politiques et leurs membres, précisent les principes moteurs qui les gouvernent dans leur déontologies, organisent le recrutement des membres et le choix des dirigeants. Elles fixent également les sanctions destinées aux partis politiques ou à leurs membres qui contreviendraient à la loi ou à léthique.
Répondant aux préoccupations de la population sur léventualité dun nombre très élevé des partis politiques, la Constitution a prévu une disposition objective stipulant que les partis politiques qui obtiendraient moins de 4% des suffrages exprimés aux élections législatives soient doffice dissouts (Art.55).
2. La deuxième nouveauté est la manière et la composition des listes des candidats députés au moment des élections législatives.
Larticle 77 prévoit que les députés sont élus au suffrage universel direct et secret pour un mandat de 5 ans, au scrutin de liste bloquée à la représentation proportionnelle.
Ces listes sont composées dans le respect du principe dégal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives . Cette disposition a été élaborée dans lesprit de la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard de la femme et permettra une égale représentation des hommes et des femmes, et de toutes les composantes de la communauté.
En attendant datteindre cet idéal, dores et déjà, larticle 76 de la constitution accorde aux femmes 30% des sièges à la chambre des députés.
3. Une deuxième chambre appelée Sénat est créée au sein du Parlement afin de veiller à la mise en uvre des principes fondamentaux énoncés à larticle 9 et dans le but de régler les conflits à caractère politique au sein des partis politiques. Sans exclure des séances communes avec la Chambre des Députés pour certaines matières, elle a des attributions qui lui sont propres comme par exemple la nomination définitive des hauts fonctionnaires de lEtat.
Elle est composée de sénateurs en partie élus par les conseils de Districts et des Villes et en partie désignés par des organes habilités ( Art.80 ).
4. La Cour Suprême (art.145), le Conseil Supérieur de la Magistrature (art. 152), lOffice du Protecteur du Citoyen (art.179), la Haute Cour de la République (art. 154), et lAutorité Nationale de Poursuites (art.164) ont été organisés de façon à éviter les conflits internes et à permettre que la justice soit rendue au nom du peuple.
Afin de permettre un règlement rapide des jugements et une plus grande responsabilisation des juges, il est prévu linstitution du juge unique dans les juridictions de premier degré (Art.142).
5. Afin de promouvoir lesprit de dialogue et de conciliation des rwandais, et de renforcer lunité de la communauté rwandaise, Il est institué dans chaque secteur un « Comité de conciliateurs » destiné à fournir un cadre de conciliation préalable à la saisine des juridictions du premier degré. Cest une façon de faire renaître et de promouvoir le « Gacaca » dantan comme la population la souhaité au cours des consultations.
Dans cette optique, aucune demande ne sera recevable devant une juridiction si les parties ne sont pas passées au préalable devant les conciliateurs. De plus, cela aura comme conséquence évidente, le désengorgement des juridictions (Art 162).
6. En plus des commissions existantes, Il est créé également dautres commissions et autorités spécialisées afin de régler des problèmes majeurs du pays. Il sagit notamment de :
1. La Commission de lutte contre le Génocide (art. 178)
2. LOffice du protecteur du citoyen (ombudsman)
(art 179)
3. La Commission de la Fonction Publique (art 180)
4. LOffice de lAuditeur Général des finances de lEtat (art 181).
Contrairement aux autres autorités spécialisées, cet office existait mais avec des attributions moindres.
Il sest vu adjoindre une plus grande compétence et autonomie comme certaines attributions de lancienne Cour des Comptes aujourdhui supprimée avec la nouvelle constitution.
5. LAcadémie rwandaise de langue et de culture
(art 186).
6. LObservatoire << Gender >> (art 185) .
7. La dernière nouveauté dans la Constitution, cest le choix de la population du régime semi-présidentiel comme système politique caractérisé par le partage équitable du pouvoir.
IV. DE LA CHARPENTE DE LA CONSTITUTION
La Constitution comprend 203 articles repartis en 9 Titres.
La longueur de cette Constitution se justifie par les dispositions explicatives de certaines institutions nouvelles de la Constitution et par les dispositions organisant la fin de la Transition.
Le Préambule annonce lesprit dans lequel la constitution a été élaborée.
Lordre des Titres et des Chapitres a également son importance.
Les questions de souveraineté, la définition des principes fondamentaux et lengagement par lEtat à sy conformer et à les faire respecter apparaissent sous le Titre I afin de montrer les idées-forces qui sous-tendent la constitution. (Art.1- 9)
Le Titre II est consacré aux droits fondamentaux de la personne humaine et des droits et devoirs du citoyen. Ce titre vient avant les pouvoirs afin de souligner la préoccupation de lEtat à préserver, promouvoir et faire respecter les valeurs essentielles de la personne et les droits et devoirs du citoyen.
Cest dans cet ordre didées que le chapitre consacré aux Partis politiques apparaît sous ce Titre car cest une manifestation de la liberté de pensée, dopinion, dexpression et dassociation.
(Art.10 60)
Le Titre III organise les 3 pouvoirs.
Le Pouvoir Législatif est détenu par un Parlement Bicaméral.
Le Pouvoir Exécutif est exercé par la Président de la République et le Gouvernement.
Le Pouvoir Judiciaire est sur la supervision de la Cour Suprême.
Le principe de la séparation, de lindépendance et de la complémentarité des trois pouvoirs est consacré par la Constitution.
Contrairement aux Constitutions antérieures, qui présentaient en premier Chapitre, sous le titre des pouvoirs, le Pouvoir exécutif, celle-ci commence sous le même titre, par le Pouvoir législatif. Ce choix se veut dexprimer la suprématie de la loi sur les institutions et le passage effectif du régime présidentiel au régime semi-présidentiel.
(Art. 61 172)
Le Titre IV est consacré à la Sécurité et à la Défense nationales.
Il y est précisé la mission de la Police Nationale et celle des Forces Rwandaises de Défense. (Art.173 et 174).
Le Titre V organise les Commissions et autorités spécialisées.
La création de ces commissions et autorités spécialisées a été motivée par le souci de régler des problèmes spécifiques du pays tel que le génocide et ses conséquences, lUnité et la réconciliation, la corruption et linjustice, la gestion des ressources de lEtat, etc. (Art. 175 187)
Le Titre VI est relatif au système économique.
On y définit les différents axes sur lesquels repose le système économique du Rwanda. (Art. 188)
Le Titre VII est consacré aux Traités et Accords Internationaux, notamment en ce qui concerne leur ratification et leur force par rapport à la Constitution. (Art. 189 193)
Le Titre VIII est consacré à la révision de la Constitution.
Il y est précisé les dispositions qui peuvent être révisées, les organes ou institutions habilités à le faire, celles qui ne peuvent être révisées ou amendées que par voie référendaire et enfin celles qui ne peuvent faire lobjet de révision. (Art. 194)
Le Titre IX est consacré aux dispositions transitoires et finales.
Cest sous ce Titre que la fin de la transition est organisée. On y retrouve des dispositions relatives au Referendum, à lorganisation des élections présidentielles et législatives et à la mise en place des nouvelles institutions. (Art. 195 203)