Un homme d'affaires bruxellois a été arrêté. Il serait lié à la guérilla rwandaise du Congo
Le coltan « blanchi » en Belgique
FRÉDÉRIC DELEPIERRE
Dossier brûlant que celui qui se trouve à l'instruction, à l'heure actuelle, chez le juge bruxellois Michel Claise. Il y est clairement question de la mort de deux millions de personnes au Congo et de trafic de coltan, un minerai très prisé.
Suite à une dénonciation de la CTIF (cellule de traitement des informations financières), des enquêteurs de la section financière de la police fédérale investiguaient depuis plusieurs semaines sur des informations relatives à du blanchiment, sur le territoire belge, d'argent en provenance du Congo. Par mois, plusieurs millions de dollars provenant de trafic de coltan aboutissaient sur des comptes domiciliés dans des banques belges. Cet argent repartait ensuite au Rwanda où, selon le parquet de Bruxelles, il servait au financement de la guérilla rwandaise active au Congo.
Un homme d'affaires bruxellois, M. V., a été identifié comme intermédiaire du trafic. Il a été interpellé, inculpé de faux, usage de faux et blanchiment d'argent par le juge d'instruction Claise qui l'a placé sous mandat d'arrêt, commente Jos Colpin, porte-parole du parquet. L'homme travaillait, notamment dans des locaux du Sénat belge, comme membre d'un groupe de réflexion sur la déontologie du commerce dans la région des Grands Lacs.
La semaine dernière, plusieurs perquisitions ont été menées au siège de la société dans laquelle œuvrait l'homme d'affaires. Des documents très importants ont été saisis. D'importantes sommes d'argent ont également été emportées. Des preuves irréfutables que certaines banques ont joué un rôle trouble, via des comptes « non-résidents », sont aussi apparues, poursuit le parquet. Ces banques ont d'ailleurs été perquisitionnées au cours des dernières semaines et des preuves de transferts d'argent douteux y ont été découvertes.
Selon les informations confirmées par le parquet, l'ampleur de l'argent blanchi en Belgique pour le compte de la guérilla rwandaise serait de plusieurs millions de dollars par mois afin de servir à l'achat d'armes de guerre.
Mais les enquêteurs en sont conscients : la personne qu'ils ont arrêtée n'est qu'un intermédiaire dans un rouage bien plus élaboré et important. La personne visée par l'enquête serait Aziza Kulsum, alias Mme Gulamali. Elle résidait jusqu'il y a peu à Bruxelles, mais serait en fuite, selon le parquet. Un mandat d'arrêt international pourrait être demandé à son encontre.
Femme d'affaires redoutée, elle a été entendue le 31 mai dernier par la commission sénatoriale « Grands Lacs » où elle a eu à s'expliquer, à huis clos, sur son commerce du coltan.
Membre de la commission du sénat, Georges Dallemagne se souvient de l'audition d'Aziza Kulsum. Nous savons qu'elle est impliquée dans un trafic de coltan, mais elle s'est tenue à dire qu'elle n'a rien commis d'illégal. Sachant qu'elle était allée voir d'initiative les autorités rwandaises en leur promettant de les servir si elles lui offraient le monopole du commerce du coltan, nous l'avons interrogée sur son abus de position dominante, mais elle n'a pas souhaité répondre.
D'origine indo-pakistanaise, Aziza Kulsum a d'abord vendu des cigarettes. Elle a ensuite créé la société Uzabuto qui a travaillé avec le Burundi. C'est ensuite qu'elle s'est basée à Bukavu pour vendre des armes et de l'or.
Après la deuxième guerre du Congo, en 1998, elle qui était amie avec les Hutus s'est alliée avec les Tutsis et est devenue la femme de confiance du FPR. C'est ainsi qu'elle a pu reprendre la SOMIGL et obtenir le monopole du commerce du coltan dans le Sud-Kivu.
Le développement de l'enquête du juge Claise intéresse l'ONU qui a déjà contacté le parquet, ce lundi. Il est vrai que les Nations unies avaient épinglé Aziza Kulsum dans leur dernier rapport sur les Grands Lacs.
Nov. 2002 (début)
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