PASTEUR BIZIMUNGU. L' ancien Président rwandais dénonce l`exclusion des Hutus des centres de décision. Et veut créer son parti, quoi qu`il lui en coûte.
" JE SUIS PRÊT A PAYER LE PRIX FORT"
Extrait de l interview donne au Journaliste Valérie Thorin de Jeune Afrique No. 2112 du 03. Juillet au 9 juillet 2001.
Q / Vous êtes devenu une sorte de "martyr.."?
Finalement, cette aventure m`a rendu service. Elle est aussi révélateur. Quand on lit les réactions de la presse officielle, on se dit qu`elle se comporte comme la RTLM( La Radiotélévision des Milles Collines, qui faisait de la propagande anti-Tutsi et a appelé au génocide). Il est regrettable que le passé ne nous ait rien appris ?
Q / Pendant ces événements, vous n`avez jamais parlé avec le Président Paul Kagame?
Non.
Q / Pourtant, vous êtes d`anciens compagnons d`armes.
Nous ne nous entendions plus avant même ma démission. Le premier accroc date de septembre 1999, lorsque les membres du FPR à l`assemblée nationale ont écrit à Kagame pour exiger, sans me consulter, le limogeage de deux Ministres Hutus du Parti socialiste. On les accusait de corruption. J`ai Téléphoné à Kagame. Il m`a répondu que les gens ne pouvaient se cacher Derrière leur ethnie pour bénéficier de l`impunité.
Q / Mais il était normal qu`on se livre à des investigations.
Les faits qu`on leur reprochait dataient de 1995-1996. La loi de contrôle sur l`action du gouvernement date de 1997, sans effet rétroactif.
Q / C`est ce genre de divergence qui a conduit à votre démission?
Le problème s`est en effet répété deux jours plus tard pour six autres Hutus du gouvernement. Je ne voulais pas intervenir officiellement, pour ne pas qu`on me reproche de n`intervenir qu`en faveur des Hutus. J`ai choisi de défendre Patrick Mazimbaka, ministre délégué à la présidence, car il est Tutsi.
Q / Vous avez attendu avril 2000 pour démissionner.
On a passé des mois à se chamailler. Quand j`ai compris qu`ils allaient se Débarrasser de moi, j`ai pris le devant. Kagame est allé consulter Yoweri Museveni, Benjamin Mkapa et Thabo Mbeki. Je ne sais pas ce que Mkapa et Mbeki ont dit, mais Museveni a refusé de le soutenir.Le FPR a alors changé de tactique. J`ai conservé mes fonctions, mais tout mon entourage était renvoyé, sous prétexte de remaniement ministériel. J`ai fait alors un discours devant le parlement. et je suis parti.
Q / On vous reproche d`insister, dans le manifeste de votre parti, sur la coupure Hutu/tutsis..
Ce que nous disons, c`est que depuis cent cinquante ans il se passe dans ce pays, de façon cyclique, une lutte pour le pouvoir entre Hutus et Tutsis. Chaque fois que l`un des groupes s`empare du pouvoir, il essaie d`écraser l`autre. Jusqu`à ce que ce dernier prenne sa revanche. Nous pensions qu`avec le FPR les choses allaient changer, nous avons été déçus. Nous avons combattu le régime hutu de Juvénal Habyarimana, qui contrôlait-les institutions, la gendarmerie, les banques, etc. mais maintenant, c`est Exactement la même chose.
Q / Pas tout à fait. Il y a des Hutus dans le gouvernement actuel..
Dans le passé aussi, il y avait des Tutsi, qui n`avaient aucun rôle. Je vous donne un exemple. Récemment, il y a eu une réunion à Lusaka, en Zambie, au sujet du pillage des richesses du Congo. Tous les pays concernés ont envoyé leur ministre de la Défense et/ou celui des Affaires Etrangères. Au Rwanda, ces deux Ministres sont des Hutus. Ils ne faisaient pas partie du voyage. On a envoyé Patrick Mazimbaka, conseiller à la Présidence.
Q / Officialiser à l`intérieur d`un parti politique la coupure entre Hutus et Tutsis, n`est ce pas rallumer le feu?
Nous sommes persuadés que si les choses continuent, les Hutus vont fourbir leurs armes et, d`ici à dix, quinze ou vingt ans, ils vont chasser-les Tutsis. Avec les conséquences qu`on imagine. Il faut aménager des Mécanismes afin que chaque communauté participe réellement au pouvoir. Jusqu`à ce que nous nous soyons forgé une identité nationale transcendant le clivage Hutus/Tutsis. En plus, ici comme au Burundi, l`armée est Monoéthnique. On ne peut pas diriger le Rwanda avec une armée à 100% tutsie, alors que 85% de la population est hutue!
Q / Qu`allez vous faire maintenant?
Nous allons créer le parti et nous battre avec des moyens pacifiques. La loi stipule que la demande d`agrément doit être accompagné du Procès-verbal de l`assemblée constitutive. C`est cette assemblée que nous nous apprêtions à tenir à l`Hôtel Umubano, le 1er juin.
Q / Après la période de transition, s`il devait y avoir des législatives et une Présidentielle, présenteriez- vous des candidats?
Il devra d`abord y avoir un référendum sur la Constitution. Nous entendons Participer au débat. Il ne faut pas laisser continuer cette lutte entre hutus et tutsi.
Q / Serez-vous candidat à la présidentielle?
Ce n`est pas la présidence qui m`intéresse, mais la solution de nos Problèmes. Quand j`ai rejoint le FPR en Ouganda, en 1990, tous mes biens ont été confisqués et vendus. A cette époque, les Tutsis étaient considérés comme des parias, c`est pourquoi je suis allé combattre à leurs côtés. Mais je n`ai pas fait ce choix pour que les hutus soient considérés, à leur tour, comme des citoyens de seconde zone.
Q / Vous partageriez le pouvoir moitié-moitié?
Pas forcément. Dans le mécanisme de présidence rotative, il peut y avoir un président tutsi et un vice-président hutu et vice versa.
Q / Qu`est ce que vous proposez?
Une participation effective. Nous n`avons pas voulu avancer des chiffres. Ils sont à discuter. C`est vague... Chaque chose en son temps. Voici un exemple: le gouvernement a triché avec les élections communales. Il était prévu qu`elles aient lieu six mois avant la fin de la transition. Or elles se sont tenues en mars, avec un système indirect. La majorité s`est retrouvée tutsie. Le gouvernement veut qu`aux législatives et à la présidentielle on utilise aussi ce système indirect. Les maire élus constituent le collège pour élire les députés, qui élisent aussi le président. Les élections démocratiques, c`est un homme une voix... Dans ce cas, 85% des élus seront hutus. Etant donné le génocide et les violations des droits de l`homme commis par le FPR, les tutsis peuvent craindre que ces 85% de Hutus abusent de leur situation dominante et prennent leur revanche. Il faut donc un système qui rassure et les Tutsis et les Hutus.
Q / Proposerez-vous d`adapter au Rwanda la solution de Nelson Mandela pour le Burundi: La présidence alternée Tutsis/Hutus?
Aujourd`hui, le Rwanda est dans la même situation que le Burundi.
Q / C`est plus calme..
C`est l`impression que vous avez. Avant le génocide, c`était aussi calme qu`aujourd hui. Le nombre de gens qui fuient est beaucoup plus important au Rwanda qu`au Burundi. A commencer par les politiciens des deux bords. Personne n`est rassuré. Il y a ceux qui fuient et ceux qui s`infiltrent. Des Interehamwe, les milices extrémistes hutues...
Q / Êtes-vous sûre que ce sont des interehamwe?
C`est un bruit qui circule. Le Rwanda, qui n`est pas un Etat de droit, a des problèmes énormes. Les inégalités dans le système de promotion suscitent de nombreux mécontentements. S`il n`y a pas de changement, la seule issue reste-la violence. La guerre de 1990 n`est pas encore finie. Qu`entendez-vous par-là? L`armée de Habyarimana n`a pas été vaincue, elle est partie au Zaïre. Toute une armée, formée, équipée. Quand vous êtes vainqueur, vous imposez vos conditions et négociez une situation claire.Aucune démarche de ce genre n`a été entreprise. Vous sentez-vous vous-même écarté et méprisé? Dans une émission de radio animée par Tito Rutaremara, on m`a comparé à un singe, qui passe la journée à.( Il se tape sur la poitrine, comme un gorille). Comment voulez-vous parler de réconciliation avec des gens qui traitent leurs compatriotes de la sorte?
Q / Selon vous, à quoi est-ce dû?
Quand les Européens sont arrivés, ils avaient des préjugés et ont voulu appliquer leurs propres schémas. Il y avait un roi tutsi. Ils ont donc considéré les Batutsi comme des seigneurs, des Caucasiens, autrement dit des Blancs à peau noir. Les Bahutu et les Batwa eux étaient des Nègres. Les tutsis ont pris-le monopole de l`administration et des emplois. Pendant des décennies, le comportement des uns et des autres a été dicté par cette dichotomie. Certains se croient, intellectuellement, supérieurs aux autres. Comme par le passé, dire que quelqu`un est hutu signifie qu`il est intellectuellement inférieur. La gacaca( justice de proximité) est-elle une bonne solution? La gacaca est une sorte de Commission Vérité et Réconciliation. Elle doit aider les gens à se pardonner et à vivre à nouveau ensemble. Le système mis en place est dévoyé, puisqu`il y a des juges chargés de punir, mais pas d`avocats, seulement des témoins à décharge. Il ne peut pas conduire à une véritable équité.
Pourquoi?
Vous ne pouvez pas organiser de système judiciaire dans un pays où il y a eu un million de morts d`une part et deux millions et demi de morts d`autres part, si on en croit Joseph Kabila. S`il doit y avoir une justice, il ne faut pas s`en prendre aux petites gens, même s`ils ont tué. Le gouvernement a tué et fait tué. Les citoyens ont été ses instruments.
Q / Donc amnistie pour les petits, tribunal pour les grands?
Oui.
Q / En amnistiant, vous risquez d`alimenter la colère...
Il n`y aura jamais de solution parfaite. Que signifie, pour celui qui a perdu cinquante ou cent membres de sa famille, les quinze ou vingt ans infligés au coupable? Si les gens n`ont pas la force d`âme pour transcender ce qui leur est arrivé, rien ne les y aidera,. Pour résoudre tous ces problèmes, il faut que vous soyez au pouvoir à la place de Paul Kagame et du FPR.. Il faut que nos idées soient au pouvoir. Lorsque j`étais au FPR, j`avais des appuis, mais les gens n`osaient pas se manifester parce que le FPR est redoutable.Mon conseiller, qui était tutsi, a été tué parce qu`il n`était, Prétendument, pas assez dur avec moi.
Q /Vous êtes prêt, vous aussi, à payer le prix fort?
C`est ce à quoi je m`expose.