Au moment où l'invasion de l'Irak mobilise toute l'attention de la
communauté internationale en égratignant son autorité morale, la sous-
région des grands lacs est menacée par une recrudescence inquiétante
des violences.
La LDGL est profondément préoccupée par la dominance et la résurgence
de logiques de guerre, récemment mises en exergue par les
déclarations très martiales des différents acteurs politico-
militaires des pays de la sous-région. Cette préoccupation se fonde,
d'une part, sur les accusations réciproques des gouvernements
rwandais et ougandais laissant craindre une confrontation directe
entre ces deux Etats, ou sur le territoire de la République
démocratique du Congo. D'autre part, au Burundi, le processus de paix
issu d'Arusha est presque complètement grippé à l'approche de
l'échéance prévue pour l'alternance, le 1er mai 2003. Les divergences
étalées publiquement par les signataires de l'Accord et les
violations permanentes du cessez-le-feu génèrent de vives tensions
qui font resurgir le spectre d'une violence généralisée. Profitant de
cette brèche ouverte, les belligérants semblent se repositionner dans
la perspective d'une issue militaire au conflit.
LES FAITS
1. Alors que les protagonistes congolais s'acheminaient vers un
accord inclusif axé sur la mise en place des institutions de
transition après plusieurs années de tergiversations et
d'affrontements sanglants, la province d'Ituri[1][1] devient de plus
en plus le point de confrontation des divers intérêts avec le risque
de relancer le conflit à une échelle plus étendue.
2. Conformément aux accords de Lusaka tels que complétés et
amendés, le Rwanda et l'Uganda s'étaient engagés à retirer leurs
troupes du Congo en juillet-août 2002. Alors que le Rwanda a
officiellement retiré toutes ses troupes, l'Uganda a conclu avec
Kinshasa un accord particulier en septembre 2002 l'autorisant à
garder sur place quelques 2000 militaires pour assurer la sécurité de
la population, en collaboration avec la Monuc. Ainsi donc l'Uganda a
continué à administrer le Grand Nord Est du Congo par le biais des
mouvements rebelles congolais notamment le RCD-ML de Mbusa Nyamwisi,
de la tribu nande, et l'Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas
Lumbala, de la tribu Hema.
3. Créée en avril 2002 sous le parrainage de l'Uganda, l'UPC a
fini par faire volte-face en s'alliant publiquement au RCD-Goma
soutenu par le Rwanda, le 6 janvier 2003. Ce retournement a
contribué à la détérioration des relations rwando-ugandaises déjà
mises à mal suite aux affrontements de Kisangani en 2000. En
réaction à cette volte-face de l'UPC, une rébellion pro-ugandaise,
dénommée « Front pour l'Intégration et la paix en Ituri » (FIPI), a
été créée le 14 février 2003. Depuis lors, l'Uganda, qui dans l'entre-
temps avait renforcé ses relations avec Kinshasa a formé une
coalition composite formée entre autres des forces du RCD-ML, du FIPI
et des miliciens Lendu en vue de déroger l'UPC et son allié le RCD.
4. Le 14 mars 2003, le gouvernement rwandais a fait savoir dans
une déclaration publique son intention d'envoyer ses troupes au Congo
si l'Uganda ne retire pas ses militaires du Nord Kivu sans délai,
tout en accusant le régime de Kampala de comploter avec Kabila et
les ``forces génocidaires'' pour saboter le processus démocratique en
cours au Rwanda. Le Parlement rwandais, au cours de sa séance du 19
mars, vient de donner feu vert à l'armée rwandaise d'user de tous les
moyens à sa disposition pour protéger « le territoire et le peuple
rwandais ». Dans l'entre-temps, tout en niant les accusations portées
contre lui, le gouvernement ougandais accuse à son tour le régime de
Kigali de soutenir une rébellion anti-ougandaise dénommée People's
Redemption Army (PRA).
5. Des informations dignes de foi affirment que l'Uganda héberge
des militaires rwandais dissidents dont Major Furuma et Capitaine
Frank Tegera tandis que le Rwanda héberge de son côté des dissidents
ougandais dont les colonels Edison Muzora et Samson Mande ,le Lt.
Col. Anthony Kyakabale, etc. Par ailleurs, des informations à la
disposition de la LDGL font état de préparatifs de guerre éminents de
part et d'autre et d'une concentration importante des troupes des
deux armées et de leurs alliés respectifs dans le Nord Est de la RDC.
Des informations non encore confirmées vont jusqu'à faire état de
mouvements de troupes de part et d'autre de la frontière rwando-
ugandaise et même des infiltrations ainsi que des tentatives de
déstabilisation dans les capitales respectives.
6. Au Burundi, la tension s'accroît considérablement face aux
difficultés de respect des engagements pris tant pour l'Accord
d'Arusha que pour le cessez-le-feu signé entre le gouvernement et le
FDD, la principale branche de la rébellion armée. A l'approche de
l'échéance de la 1ère tranche de la transition, le 1er mai 2003, le
consensus fragile d'Arusha vole en éclats face aux intérêts
difficilement conciliables des uns et des autres. Face aux querelles
des signataires de l'Accord de paix d'Arusha, les non-signataires et
les opposants à ce processus se positionnent pour enrayer
définitivement le processus ou y ouvrir une brèche en vue de jouer
des rôles plus visibles. La confrontation entre les rébellions armées
et les forces gouvernementales se déroule sur une grande partie du
territoire. Les discours très militants et les mobilisations des
bases accroissent les tensions et méfiances en rompant l'harmonie
très fragile entre les différentes composantes ethniques du pays.
7. La fréquence et l'intensité des affrontements augmentent
chaque jour. Des informations concordantes font état de mouvements
des rebelles du FDD dans la Kibira en provenance de l'Est du Congo et
d'autres en province de Ruyigi en provenance de la Tanzanie et d'un
possible positionnement tout près de la capitale faisant craindre une
attaque imminente de celle-ci.
RECOMMANDATIONS
La LDGL lance un cri d'alarme pour que des affrontements avec des
conséquences humanitaires considérables ne puissent se dérouler dans
la région des Grands Lacs au moment où toute l'attention est braquée
sur le conflit qui se déroule en Irak.
La LDGL craint que les récents exemples de la Centrafrique et du
recours à la force par la coalition américano-britannique au mépris
du droit international fassent des émules dans la région en donnant
des ressorts aux logiques de violence au dépens de la concertation.
Face à cette situation préoccupante, la LDGL formule les
recommandations suivantes :
Aux gouvernements rwandais et ougandais :
Ö De privilégier le dialogue en vue de régler le conflit qui les
oppose par la voie de la négociation;
Ö Respecter les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Lusaka,
notamment en retirant toutes
les troupes du territoire de la RDC et en s'abstenant de soutenir
des oppositions politiques ou armées
contre le régime en place dans l'un des pays ;
Ö De mettre en avant les intérêts de leurs peuples en initiant des
politiques d'intégration économique,
et en renforçant plutôt l'amitié et la solidarité entre les
peuples des deux pays.
Au Gouvernement et aux acteurs politiques burundais :
Ö De respecter scrupuleusement les engagements pris dans le cadre de
l'Accord d'Arusha
et de nouveau de privilégier la voie de la concertation et du
dialogue ;
Ö De mettre en place tous les mécanismes prévus permettant le respect
du cessez-le-feu signé et de
poursuivre les démarches visant la signature d'un cessez-le-feu
global et durable.
Aux mouvements armés :
Ö De s'abstenir d'attaques contre les civils non armés et de
respecter le droit international
humanitaire ;
Ö Eviter de prendre comme prétexte les querelles des politiciens pour
relancer le conflit et annihiler ainsi les attentes de la population
qui a placé tous ces espoirs dans les accords de cessez-le-feu.
A la société civile des trois pays :
Ö Se mobiliser contre les logiques de guerre, interpeller les
différents acteurs au respect des
engagements pris ;
Ö Renforcer la participation citoyenne pour influer positivement sur
les processus de paix et de
démocratisation dans les pays de la région.
A la communauté internationale
Ö Suivre attentivement l'évolution de la situation dans les trois
pays et faire pression sur les
différents acteurs en vue du respect des engagements pris ;
Ö Continuer à appuyer l'avancée du processus, de paix et de
démocratisation dans les trois
pays en contribuant à réunir les ressources nécessaires.
Fait à Kigali, ce 22 mars 2003
Pour la LDGL
Dr Christophe Sebudandi,
Présidant
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[1][1] Ituri avec Bunia comme chef lieu, est une province du Nord Est
de la RDC riche en ressources naturelles, composée de 5 territoires
(Aru, Djugu, Irumu, Mahagi et Mambasa) avec une population d'environ
4,5 millions répartie en plusieurs groupes ethniques(Bira, Alur, Ndo
Okedo, Mambissa, Nyali, Ndali, Hema et Lendu).