Rwanda Rugali
Les donneurs de leçons

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Le 08/04/2003
 
Rwanda - « Nous ne nous laisserons pas faire », dit le président
rwandais devant MM. Michel et Flahaut Kagame et les donneurs de
leçons
COLETTE BRAECKMAN
envoyée spéciale
KIGALI
 
Etait-ce l'esprit de Mwulire qui animait le président Kagame, lorsqu'il
s'adressa à ses compatriotes à l'occasion du 9e anniversaire du
génocide ? Ici, sur cette colline de la municipalité de Rwamagana, sur
la route de la Tanzanie, 15.000 Tutsis ont enfin une sépulture et leur
mémoire suscite une émotion très particulière. Car à Mwulire, du 7 au
14 avril, des milliers de civils, armés seulement de bâtons et de
flèches, résistèrent aux hordes de miliciens hutus qui les assiégeaient.
Il ne fallut pas moins de quatre expéditions pour les réduire.
 
Alors que Louis Michel, à la tête d'une importante délégation belge,
avait prononcé des paroles de solidarité et d'apaisement, ne craignant
pas de rappeler une fois de plus l'immense responsabilité d'une
communauté internationale repliée avec arrogance sur ses certitudes
et avait répété l'amitié et la solidarité qui unissent la Belgique et le
Rwanda, le président Kagame, au lieu de développer le thème du jour «
réconciliation et unité » se lança dans un discours bien plus inquiétant.
 
Certes, le président du Rwanda embraya sur les propos de son hôte en
répétant qu'il importait de rechercher les causes du génocide, mais il
souligna plutôt, avec force et emportement plus jamais ça.
Avant de s'exprimer en anglais, pour être sûr d'être bien compris de
tous, Kagame avait exhorté ses compatriotes à compter sur leurs
propres forces, sur la connaissance de leur histoire plus que sur les
enseignements venus de l'extérieur. Non sans panache, avec des
accents nationalistes, voire antioccidentaux, qui en rappellent d'autres
 par les temps qui courent, Kagame récusa les donneurs de leçons, de
tout acabit, ceux qui viennent ici nous parler de justice, de
réconciliation, de démocratie, dans leurs termes et au gré de leurs
intérêts plus que des nôtres et il rappela, en des termes dramatiques,
l'abandon dont tout son peuple a été victime. Désormais, c'est clair, le
Rwanda entend compter sur ses propres forces, dût-il, s'il le faut,
défier le reste du monde.
 
Et le reste du monde, à Mwulire, en a pris pour son grade : On nous
accuse d'être revenus au Congo ? Pourquoi ne nous demande-t-on pas
 plutôt pourquoi nous y sommes allés, pourquoi nous devrions y
retourner ? Kagame répondait là à tous ceux qui accusent le Rwanda
d'avoir renvoyé des troupes en territoire congolais, et d'être prêt
depuis le Sud-Kivu jusque Bunia, à y reprendre la guerre. Nos troupes
ne se trouvent pas au Congo, mais elles pourraient y être redéployées
d'un jour à l'autre si nécessaire, souligna-t-il, si la sécurité de notre
peuple était en cause. Nous ne nous excuserons pas, nous ne
céderons à aucune pression, même économique... Avec un million de
morts, que pourrait-il nous arriver de pire ? Le gel de l'aide, voilà un
argument dérisoire. Ceux qui veulent nous empêcher d'y aller feraient
mieux de nous aider à résoudre ce problème...
 
A l'égard de Kinshasa, le message est donc clair : si Kigali soupçonne
le président Joseph Kabila d'encore soutenir des Interhahamwe prêts à
reprendre l'offensive, il fera entrer en action des troupes qui, selon de
multiples témoignages, se trouvent déjà en territoire congolais. A
l'égard de l'Ouganda aussi, ce voisin qui veut nous déstabiliser, un
message a été formulé : Il verra que nous ne nous laisserons pas faire.
Lorsque Kagame parle ainsi, avec à l'horizon un cirque de collines où la
végétation luxuriante a englouti les charniers et devant lui un peuple
debout, qui l'écoute en rangs serrés et l'applaudit comme un héros, il
prend des accents de tribun, martèle son pupitre, oublie ses notes. Il
se laisse emporter par une sorte de colère rétrospective, et on le sent
prêt à mettre le feu à l'Afrique entière pourvu que soit garantie la
sécurité des siens, les seuls dont il ait la charge.
 
Malgré ses accents passionnés, ce discours doit cependant être
décrypté à l'aune de la raison : si Kagame tient des propos aussi
belliqueux, alors qu'en Afrique centrale l'heure est à l'apaisement, que
les dirigeants du RCD-Goma se préparent à devenir ministres à
Kinshasa et ont déjà invité des journalistes de la capitale à les
accompagner dans l'Est, c'est peut-être qu'il se sent coincé. En passe
d'être isolé au milieu d'un réseau d'alliances patiemment tissé par
Kinshasa, de Brazzaville jusqu'à l'Ouganda, en passant par la
Centrafrique, avec l'Angola comme puissance tutélaire. Coincé, sinon
menacé, par l'Ouganda, qui, à Bunia, a fait alliance avec les forces
gouvernementales, qui se prépare à affronter des unités rwandaises et
qui vient encore d'accueillir un ministre et deux généraux en cavale...
Et tout cela, estime Kigali, en présence de la Monuc qui n'est pas
suffisamment déployée, qui ne voit et ne dit rien et manifeste une
indifférence voire une insensibilité qui rappelle 1994.·