Les Rwandais risquent de se désintéresser des gacaca, avertit une ONG
(AFP 17/08/2002)
Deux mois après le début expérimental des tribunaux gacaca, chargés de
juger les exécutants du génocide de 1994, la seule ONG internationale
qui en a suivi le processus met déjà en garde contre le désintérêt
croissant des Rwandais à l'égard cette forme de justice.
Pourtant, "presque partout, la population et les juges ont accueilli
avec enthousiasme le début des gacaca, (...), la population est venue
en très grand nombre, témoignant beaucoup d'intérêt et de curiosité",
se félicitait Penal Reform International (PRI),l'association basée à
Paris, dans un rapport rendu public vendredi soir.
"Mais cet enthousiasme a tendance à rapidement diminuer, en
particulier lorsque les personnes dans l'assistance ont réalisé que
les juges pouvaient enquêter sur leur passé", avertit la seule
organisation non gouvernementale qui a suivi de près l'expérimentation
des gacaca.
Les tribunaux gacaca (prononcer gatchacha) ont débuté leurs travaux le
19 juin dans douze juridictions tests - à raison d'une par province -,
avec comme premier objectif la reconstitution des faits dans chaque
juridiction.
Inspirées des anciennes assemblées villageoises, qui réglaient les
différends et les conflits locaux, les gacaca se veulent un
intermédiaire entre justice traditionnelle rwandaise et justice
conventionnelle.
Selon ce système judiciaire unique en son genre, un jury populaire de
"personnes intègres", élu en octobre par la population locale à chaque
échelon administratif, examinera et devra se prononcer, après les
témoignages à charge et à décharge des témoins présents dans le
public, sur la culpabilité des accusés.
A terme, 11.000 juridictions gacaca doivent être mises en place d'ici
la fin de l'année dans tout le pays.
Si "certains espèrent que le processus gacaca aura des résultats
(c'est le cas des rescapés, de familles de certains détenus), d'autres
ont peur des résultats", notamment les personnes qui ont participé au
génocide mais qui sont toujours en liberté, explique l'organisation
PRI.
"En résumé, un manque d'intérêt croissant a été constaté de la part de
la population - à l'exception notable des nombreux rescapés - dans
cette étape du processus", juge l'ONG, soulignant que "l'usage de la
force - parfois utilisée par les autorités - pour participer aux
réunions est contraire à l'esprit des gacaca".
Le rapport de PRI analyse également une expérience "de procédure
d'aveu (menée dans la région de Gikongoro, au sud-ouest du pays) par
les détenus devant la communauté où les délits ont été perpétrés".
Cette expérience, qu'il convient de "poursuivre" selon l'ONG, a permis
"d'observer ce qui pourrait se passer au cours de la troisième étape
des gacaca, celle des procès", qui ne devrait pas débuter avant la fin
de l'année.
PRI s'alarme en particulier du comportement "arrogant" de certains
prisonniers passés aux aveux, "qui ne manifestent pas le moindre
remords et tentent au contraire de faire pression sur les victimes par
la violence de leur propos pour qu'elles leur accordent un pardon
immédiat".
"Les prisonniers ne semblent pas endosser la responsabilité de leurs
actes, même s'ils avouent et demandent pardon", juge PRI.
L'aveu et le repentir sont au coeur du système des gacaca, permettant
en théorie pour la grande majorité des prisonniers une libération
anticipée.
"Si ce type de comportement de la part des coupables n'est pas
largement débattu par les responsables des juridictions avant le début
des procès (...), il pourrait engendrer d'énormes problèmes (...) et
entraîner une intensification des tensions et troubles sociaux, loin
du climat de réconciliation souhaité", s'inquiète l'ONG.
Face à l'encombrement des tribunaux classiques et au surpeuplement des
prisons, les gacaca ont pour vocation d'accélérer la justice en
jugeant les petits exécutants du génocide qui a fait en 1994 près d'un
million de morts en quatre mois parmi la minorité tutsie et chez les
Hutus modérés.
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