Le TPIR, outil d'une
justice de vainqueurs?;
Un rapport de
l'International Crisis Group met en cause son impartialité
SMITH STEPHEN
DANS UN RAPPORT publié, en août, sous le titre Tribunal pénal international
pour le Rwanda: le compte à rebours, International Crisis Group estime que
l'heure de vérité est arrivée pour cette juridiction ad hoc des Nations unies
installée a Arusha, en Tanzanie. Présentant celui-ci comme le parent pauvre de
la justice internationale, bien moins doté en fonds que le Tribunal pour
l'ex-Yougoslavie qui siège à La Haye, l'ONG conclut que le TPIR risque de
devenir l'instrument d'une justice politisée et de compromettre son mandat.
Le péril viendrait de la conjugaison de deux tendances néfastes: d'une part,
de la fuite en avant du parquet, qui multiplierait les poursuites - une centaine
depuis un an - contre de présumés responsables du génocide de 1994 au Rwanda, à
la fois pour faire oublier ses dysfonctionnements et pour perséverer dans son
être au-dela de 2008, l'échéance fixée par les Nations unies; d'autre part, du
bras de fer engage avec le Rwanda, dont le nouveau régime tenterait
d'instrumentaliser le tribunal d'Arusha pour s'exonerer de ses propres crimes
commis en 1994 en imposant une justice de vainqueurs.
Sur le premier point, malgré une amélioration du fonctionnement du TPIR par
rapport à son apathie grave jusqu'à la fin 2000, le rapport pointe l'écart
grandissant entre l'ambition démesurée du plan des poursuites engagé par le
bureau du procureur Carla Del Ponte et le manque de préparation de ce même
bureau dans certains dossiers sur la base desquels il met pourtant les individus
en état d'arrestation. En termes moins polis: le parquet lance des mandats
d'arrêt et inculpe à tour de bras, mais manque d'apporter les preuves justifiant
la détention, souvent pendant de longues annees, de prévenus en attente de
jugement.
Quant au conflit qui oppose le TPIR au régime post-genocidaire du Rwanda, le
rapport évoque le chantage du gouvernement rwandais, qui empêcherait ses
ressortissants d'aller témoigner devant le tribunal d'Arusha, paralysant de ce
fait la juridiction internationale. Par ailleurs, le pouvoir du
général-président Kagame, l'ancien chef d'état- major du FPR (Front patriotique
rwandais) devenu chef de l'Etat, se servirait d'associations de rescapés du
génocide, telle qu'Ibuka ( Souviens-toi ), pour discréditer le TPIR.
Nul ne peut ignorer que cette pression accrue se déroule alors que, d'ici à
la fin de l'année, l'enjeu du TPIR changera de dimension avec, d'une part, les
premières mises en accusation annoncées de membres du FPR et, d'autre part, les
résultats de l'enquête francaise sur l'attentat contre l'avion présidentiel
rwandais du 6 avril 1994, relève le rapport de l'International Crisis Group.
Au sujet de la question extrèmement sensible de l'attentat contre le
Falcon-50 de l'ancien président Habyarimana, l'événement ayant déclenché le
génocide, l'ONG souligne que le parquet a opportunément laissé la responsabilité
de l'enquête à la justice française, tout en lui apportant son concours (accès
aux détenus d'Arusha et communication d'éléments de preuve). Or, la justice
française n'ayant pas compétence pour juger de présumes responsables de cet
attentat, le TPIR serait la seule juridiction susceptible d'instruire certaines
mises en accusation émises sur la base de l'enquête menée par le juge
Bruguière...
L'effet boomerang décuplerait les difficultés du tribunal d'Arusha, qui
enquête depuis près de deux ans, sans aboutir, sur des crimes bien documentés
engageant la responsabilité du FPR. Cette impunité, de même que celle des
cerveaux du génocide, qui est la conséquence de l'impéritie du TPIR, inspire au
rapport cette remarque: Le nombre final de procès importe désormais moins que
leur qualité, à savoir leur contribution effective à la paix et à la
réconciliation dans la région des Grands Lacs, de même qu'à l'établissement de
la vérite sur la préparation, le déclenchement et le déroulement du génocide
rwandais ainsi que sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis
par le FPR.
Copyright 2002 Le Monde, 4 septembre 2002