Rwanda 1994 : Génocide, Football et Sénégal
Lorsque l'avion du chef de l'Etat Rwandais Juvénal Habyarimana a été
abattu dans la soirée du 6 avril 1994, un match de coupe d'Afrique
important avait lieu et de nombreux rwandais - les privilégiés - vivant
essentiellement dans la capitale et équipés d'antennes paraboliques -
immenses et excessivement coûteuses à l'époque - ont pu suivre
l'événement.
Certains d'entre eux qui se trouvaient sur la colline de
Remera dans la périphérie Est de Kigali, en face de l'aéroport
international de Kanombe ont pu voir aussi « en direct » la boule de
feu de l'explosion en vol de l'avion présidentiel. Parmi les habitants de
la capitale rwandaise qui avaient été regarder le match dans des
hôtels, des bars ou chez des amis à la pointe de la technologie, il y en
aura qui rentreront chez eux très difficilement et d'autres qui ne
rentreront jamais: la nouvelle de l'assassinat du chef de l'Etat s'est
propagée très vite et en ville des barricades de l'armée et de la milice
du parti au pouvoir avaient été placées, avant la fin du match, un peu
partout sur les grandes artères.
Fin mai, début juin 1994, c'est la coupe du monde qui commença et
cela faisait près de deux mois que le génocide faisait rage au Rwanda.
à Bruxelles, des connaissances zaïroises se demandaient, nous
demandaient comment on pouvait massacrer des femmes (très belles
et très jolies selon eux) et des enfants et en plus à la machette !
Un restaurateur camerounais - Henri si ma mémoire est bonne - dont
l'équipe nationale de football se distinguait très bien comme toujours
et depuis longtemps; que ce soit en Coupe dAfrique ou en Coupe du
Monde, nous regardait en secouant la tête en signe de dépit lorsqu'il
passait des images de sport aux informations à la télévision. « Vous
êtes la honte de l'Afrique » qu'il nous disait en nous servant du poulet
à l'arachide et en ajoutant son whisky sur notre facture.
Après avoir vu les images de tueurs armés de machettes s'acharnant
sur des corps en pleine rue; lorsque je voyais à la télévision un sportif
brandir une raquette de tennis, une batte de baseball ou un club de
golf, je me demandais s'il s'agissait encore d'un massacre! Et cela me
rappelait le bien fondé du sport comme exutoire des énergies et des
frustrations et comme moyen d'épanouissement physique et mental.
Ne dit-on pas mens sana in corpore sano. Au Rwanda, ce ne sont
pas les beaux corps, jeunes et/ou vigoureux qui manquaient, ce qui a
fait cruellement défaut, c'est le sommet, l'esprit sain, autrement dit la
Tête qui chez le poisson est la première à pourrir. La pourriture du
sommet a contaminé la jeunesse. L'élite bureaucratique, militaire et
commerçante lui a donné des machettes, des grenades, du poison
idéologique et de l'alcool au lieu de ballons en cuir, de terrains de
sport et de raisons de rêver et les moyens de préparer un monde
meilleur.
Actualité du 31 mai 2002 :
France-Sénégal : 0 1, Je suis sénégalais à partir de dorénavant.
Vive le Sénégal, sa démocratie, son sport, les sénégalaises et la
sauce à l'arachide !
Placide Muhigana
P.S. : Notre Génocide a coïncidé, entre autres événements tragiques,
avec la mort du pilote brésilien de Formule-1 Ayrton Senna, en 2004
cela fera aussi dix ans qu'il s'en est allé : de qui se souviendra-t-on le
plus dans les commémorations en dehors du Rwanda?