Quid des crimes de guerre? NON! L'Express du 05/09/2002 Les plaies du Rwanda:
la «justice sur l'herbe» par Arnaud Grellier, à Kigali Des tribunaux populaires jugent les participants au génocide de 1994. Mais la réconciliation prônée semble toujours hors d'atteinte C'est une justice sans avocats ni procureur, sans plaidoiries ni prétoire. Un simple face-à-face, dans des champs reculés de caféiers ou de bananiers du Rwanda, où une cour de 19 juges doit décider du sort des accusés sur la base des témoignages de la population locale et des aveux des suspects. On appelle ces tribunaux populaires les gacaca - la «justice sur l'herbe» en kinyarwanda. Ce système judiciaire, issu des traditionnelles assemblées de réconciliation, est l'option qu'a choisie le gouvernement rwandais pour essayer de panser les plaies d'un génocide qui fit environ 800 000 morts parmi les Tutsi et les Hutu modérés du Rwanda, entre avril et juillet 1994. Quelque 256 000 juges ont été élus au sein de la population, puis formés. D'ici à la fin de l'année, 11 000 gacaca doivent progressivement se mettre en place dans tout le pays, pour une durée de trois à cinq ans. Avec un double objectif: juger environ 104 000 suspects de génocide actuellement en prison et promouvoir la «réconciliation nationale». Les premiers jugements seront rendus ce mois-ci.
«Nous faisons la construction d'un Rwanda nouveau sans nous fonder sur les ethnies»
Mais, si tout le monde au pays des Mille Collines semble s'accorder sur la nécessité de rendre justice tant aux familles des victimes qu'aux détenus, le but affiché de «réconciliation par la vérité» laisse les observateurs sceptiques. D'une part, parce que la question de l'appartenance ethnique, au cur du génocide de 1994, a été rendue taboue par le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir, dominé par la minorité tutsi. «Nous faisons la construction d'un Rwanda nouveau sans nous fonder sur les ethnies. La vérité est contre l'idéologie ethnique», affirme ainsi Mussa Fazil Harelimana, conseiller technique à la Cour suprême et membre du département des juridictions gacaca. Un point de vue que ne partagent pas - loin de là - les associations rwandaises des droits de l'homme. «La réconciliation, c'est un pouvoir démocratique partagé entre les ethnies. Les gacaca n'y changeront rien. Elles permettront seulement de mettre le contentieux de côté», estime un militant, sous couvert d'anonymat.
Autre obstacle sur le chemin de la réconciliation: l'absence de compétence des juridictions gacaca pour les crimes présumés des troupes du FPR contre les Hutu, notamment pendant et après la guerre concomitante au génocide. Dans son discours du 18 juin, le président Kagamé a tenu à rappeler qu'il n'existait qu'un seul génocide - celui perpétré à l'encontre des Tutsi - et a rejeté toute allégation de «double génocide». Aux yeux des observateurs, cette donnée limite indéniablement la capacité des gacaca à réconcilier les Rwandais. «Ils ne font pas la différence entre les massacres qui s'inscrivent dans le cadre du génocide et ceux perpétrés pendant la guerre. Il faudrait pouvoir en parler dans les gacaca. En abordant les crimes commis des deux côtés, on favoriserait la réconciliation», estime un militant rwandais des droits de l'homme. Autre problème épineux à régler: celui de l'indemnisation. «Huit ans après le génocide, aucun survivant n'a encore été indemnisé», soupire Benoît Kaboyi, de l'association de rescapés Ibuka.
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