LE MONDE | 20.05.02 | 15h22
L'ancien président rwandais Pasteur Bizimungu est en prison
Il avait été l'allié de Paul Kagamé. Il est devenu le dissident du régime de Kigali
Nairobi de notre correspondant
Au lendemain du génocide de 1994, il était l'icône de la réconciliation entre Hutus et Tutsis au Rwanda. Hutu, marié à une Tutsie, Pasteur Bizimungu avait rejoint en 1990 le Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par des exilés tutsis, avant d'être nommé président de la République lors de la prise du pouvoir par ce mouvement, en juillet 1994.
Mais, après six années d'exercice d'une magistrature plus honorifique que réelle, le symbole s'est brouillé. Pasteur Bizimungu a été "démissionné", en mars 2000, et remplacé par le véritable homme fort du Rwanda, Paul Kagamé. Auparavant, dans un discours à la radio nationale, il avait dénoncé le fait que "tous les segments de la population ne participent pas à l'exercice du pouvoir", une périphrase limpide, au Rwanda, pour désigner l'exclusion des Hutus.
Ce n'était alors qu'une première échappée contestataire, qui devait bientôt être poussée plus avant. Le 1er juin 2001, l'ex-président réunissait chez lui l'assemblée constitutive d'un nouveau parti politique, le premier à voir le jour dans le pays depuis le génocide. Le parti fut aussitôt interdit, et son instigateur commença alors à subir des vexations, voire, selon lui, à faire l'objet de menaces.
PRIVÉ DE PASSEPORT
Pasteur Bizimungu a finalement été arrêté le 19 avril dernier. Au cours d'une perquisition à son domicile, la police a déclaré avoir saisi des documents appelant "à la désobéissance civile, à la division et à la haine ethnique". Accusations graves dans un pays toujours traumatisé par le génocide de 1994. Incarcéré à la prison de Kigali, il risque dix ans de prison. La cour d'appel devait se prononcer sur son maintien en détention ce mardi 21 mai.
De la présidence à la prison, la trajectoire de Pasteur Bizimungu est celle de sa (més-)alliance avec le FPR. Sa démission n'avait entraîné qu'une disgrâce sans conséquences sérieuses. En revanche, sa tentative de lancer le Parti démocratique pour le renouveau (PDR), appelé Ubuyanja ("Renouveau" en kinyarwanda), a enclenché un cycle de mesures punitives. Il a été obligé de quitter sa résidence officielle et de restituer sa voiture de fonction. Il est devenu un "dissident", personnage unique de contestataire, dans un pays où tous les opposants ont dû partir en exil. Il a été privé de passeport, vivant sous un régime de résidence surveillée qui ne disait pas son nom, et dont les conditions s'étaient durcies au cours des derniers mois.
Au cours de ses six années à la tête de l'Etat, l'ex-président avait été l'un des défenseurs les plus zélés d'un régime auquel il s'attaque aujourd'hui. Pasteur Bizimungu s'opposait alors formellement à la création de nouveaux partis, susceptibles, selon lui, de mettre en danger "l'unité" du pays. Un argument qui lui est à présent renvoyé par ses anciens alliés du gouvernement.
Avant d'être arrêté, il s'était expliqué au Monde sur ce revirement. La collaboration entre Hutus et Tutsis au sein du FPR n'avait, selon lui, "jamais été franche et loyale, mais toujours un masque pour cacher la dictature du petit groupe d'inconditionnels autour de Kagamé". Rétrospectivement, il affirmait avoir vécu "encadré par des fidèles de Kagamé", en "potiche" consentante, "Hutu de service" si peu au fait des affaires de l'Etat qu'il aurait ignoré jusqu'au déclenchement de la guerre menée par "ses" propres troupes au Congo-Kinshasa, pendant l'été 1998.
En définitive, il n'aurait ouvert les yeux et décidé de rompre avec le FPR qu'en 1997, après l'adoption d'une "loi sur le contrôle du gouvernement" instaurant, selon lui, "la terreur" au sein de l'exécutif.
Jean-Philippe Rémy avec Stephen Smith à Paris
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.05.02
Pasteur Bizimungu: de la "réconcilation" à la prison
KIGALI 22/05 (AFP) = L'ancien président rwandais Pasteur Bizimungu incarnait au lendemain du génocide de 1994, avec Paul Kagame à ses côtés, la politique de réconciliation nationale prônée par le Front patriotique rwandais (FPR), aujourd'hui au pouvoir à Kigali.
Il est aujourd'hui derrière les barreaux pour notamment "atteinte à la sûreté de l'Etat". La Cour d'appel de Kigali a rejeté mercredi sa demande de remise en liberté.
Hutu et francophone, M. Bizimungu formait avec son vice-président et ministre de la Défense Paul Kagame, tutsi et anglophone, un duo symbolisant les retrouvailles des Hutus et Tutsis, sous la bannière d'un "Rwanda nouveau".
Il a été l'un des premiers Hutus à avoir rejoint la rébellion à majorité tutsie du FPR, créée en 1987 en Ouganda.
Désigné par le mouvement rebelle comme président de la République rwandaise le 19 juillet 1994, après le génocide qui a fait, selon le gouvernement rwandais, un million de morts, M. Bizimungu est resté à ce poste pendant plus de cinq ans.
M. Bizimungu est né en 1950 dans la préfecture de Gisenyi
(nord-ouest) et a terminé ses études secondaires au petit séminaire de Nyundo, avant d'obtenir son baccalauréat en lettres à Butare (sud) en 1973.
Nommé rédacteur en chef de l'ORINFOR (office rwandais
d'information, public) en 1973, il entame ensuite des études en France où il est diplômé en économie, en sciences politiques et en sociologie.
Il occupe ensuite diverses fonctions, dont celle de directeur d'Electrogaz, la compagnie rwandaise de distribution d'électricité, d'eau et de gaz, entre 1989 et 1990.
Considéré dans les années 1980 comme un proche de l'ancien
président hutu Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat a déclenché le génocide de 1994, il rallie le FPR en août 1990, avant même le lancement de l'offensive militaire rebelle sur le Rwanda, en octobre 1990.
Avec quelques Hutus, le futur président participe dès lors au front, ouvert le 1er octobre 1990 dans le nord du Rwanda à partir de l'Ouganda.
Commissaire à l'information de la rébellion, il accède au devant de la scène politique au moment de la négociation des accords de paix d'Arusha entre 1992 et 1994 où il dirige la délégation du FPR avec Patrick Mazimpaka, ancien ministre à la Présidence.
M. Bizimungu a été le troisième président du Rwanda indépendant après Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana.
Il démissionne de ses fonctions en mars 2000 et est remplacé par Paul Kagame.
Trois mois plus tard, M. Bizimungu est placé en résidence
surveillée et privé de ses privilèges d'ancien président, pour avoir "violé" la législation sur les partis politiques en annonçant la création d'un parti accusé par le gouvernement rwandais de prôner la haine ethnique./.DSE
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